2006-02-24

Grimoires et potions magiques

© 2005, Grégory Bender


Vous avez des problèmes atomiques? Vous trouvez que les atomes sont des entités venues d’ailleurs? Ou encore vous voulez vous rendre utile pour la résolution de crimes atomiques? La solution se trouve peut-être dans une «potion de personnification atomique».

Il y a près de 10 ans, avant même que les aventures d’«Harry Potter» n’envoûtent des millions de jeunes, Madame Bourque innove et étonne avec son carrefour atomique (Carrefour atomique), lieu où liaisons « covalentes » laissent place à l'enchantement et où « infiniment petit » rime avec « infiniment captivant ». Emboîtant le pas aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), ce site se veut avant tout un outil pédagogique extrêmement complet et travaillé. En quoi consiste le carrefour atomique? Comment l’implanter en classe? Comment ce projet est-il perçu par les étudiants? Autant de questions auxquelles le présent document essaiera de répondre.

Le carrefour atomique, de quoi s’agit-il?

Le carrefour atomique est avant tout un lieu regroupant plusieurs projets pédagogiques destinés aux étudiants des 4e et 5e secondaire qui suivent des cours de sciences physiques ou de chimie. Puisque ces matières sont souvent associées aux sciences abstraites, ce projet se propose avant tout de démystifier de nombreux concepts de ces cours. L’originalité du carrefour atomique repose sur les principes du jeu de rôle, comprenant principalement la personnification. Avant d’aborder en détail sur le contenu et les principales fonctions proposées par Mme Bourque, il faut comprendre ce qu’est le projet Cyberscol (Cyberscol), puisque le carrefour atomique s’intègre dans ce dernier. Cyberscol est une corporation sans but lucratif principalement composée d’enseignants et «favorisant l’exploitation des ressources éducatives d’Internet, de recherche et de développement des applications éducatives […]» (Gouvernement du Québec, 1995). En 1999, Cyberscol fusionne avec l'Association québécoise des utilisateurs de l'ordinateur au primaire et au secondaire (AQUOPS), qui regroupe plusieurs projets pédagogiques dont celui de promouvoir «une exploitation stratégique des ressources d'Internet en contexte éducatif» (AQUOPS).

Les trois principaux choix de projet proposé par «carrefour atomique» ont pour dénominateur commun la personnification d’éléments chimiques. Le premier choix sera la personnification d’un élément chimique en tant que tel, la deuxième possibilité sera celle de se mettre dans la peau du découvreur d’un élément chimique qui écrit une lettre à son fils. Enfin, le troisième choix consistera pour l’élève à choisir, sur des bases scientifiques, un personnage déjà créé. Un élément important est Atomix, mentor du carrefour, qui guide les élèves par des questions quotidiennes ou en posant des questions aux grands scientifiques. La force de ce projet réside dans la quantité et la pertinence des activités proposées et ce, aussi bien pour les étudiants que pour l’enseignant. En effet, le «grimoire», présente de nombreux liens et logiciels pertinents avec les recherches effectuées par les étudiants. Finalement, l'étudiant ayant réalisé un travail parfait aura la chance de pouvoir le publier sur le site.

Ainsi, si je me penche sur une activité en particulier, c’est-à-dire le scénario personnage-éléments, les concepteurs proposent des documents propres aux enseignants et aux élèves. On présente en première partie les objectifs pédagogiques de l’activité choisie, en lien avec les compétences ministérielles. Par la suite, le guide propre au scénario expose de manière succincte le nombre d’heures (6) en laboratoire envisagées pour le projet, les documents à fournir aux étudiants et les étapes de composition et de recherche. Une des étapes de composition consiste à faire appel non plus au professeur de sciences physiques (ou de chimie), mais au professeur de français afin d’aider les étudiants à faire leur rédaction. Dans le guide, des grilles de critères précis sont fournies afin d’évaluer la qualité du français. De plus, dans le but d’uniformiser tous les travaux présentés sur le site, un module informatique d’évaluation est proposé aux enseignants. Ainsi, en favorisant des rencontres étudiant-professeur et ce, en incitant l'étudiant au travail en équipe, le projet favorise la mise en place de l'approche « socio-construviste » de l'apprentissage. En procédant de la sorte, on arrive à atteindre plusieurs conditions pédagogiques définies par J.Tardif (1996), lors de l'utilisation des TIC en classe, telles que l'interdisciplinarité (Tardif, 1996), ou encore le fait que les élèves soient constamment en projet, en recherche (Tardif, 1996). Cependant, d'après Chamberland (1996), les étudiants pourraient être hors-sujet si l’activité ne présente pas des balises suffisamment claires. De plus, l’élève ne sera pas suffisamment motivé si l’enseignant n’apporte pas un suivi constant et constructif. Ainsi, le site Carrefour atomique essaie de pallier ces contraintes en proposant des balises claires et une méthodologie rigoureuse. Mais qu'en est-il de l'impact du jeu de rôle réalisé à l’aide des nouvelles technologies?

Le jeu de rôle et les TIC sont-ils complémentaires?

Selon certaines estimations (Mucchielli, 1983), un étudiant retiendrait 20 % de ce qu’il entendrait et 90 % de ce qu’il ferait, à la condition d’être motivé. De plus, le jeu de rôle, combiné aux Technologies de l’Information et de la Communication, permet aux élèves de participer plus aisément aux phénomènes de groupe, augmentant ainsi leur motivation. Les avantages du jeu de rôle sont importants : par exemple, le rapport entre l’élève et la matière devient plus vivant, et l’élève est plus impliqué et actif. De plus, le projet peut toucher plusieurs facettes des compétences à acquérir. Une caractéristique importante du jeu de rôle est de promouvoir l’aspect ludique, mis en en relief grâce à la présence de personnages tels qu'Atomix ou le détective Atomic Bonds. Pour citer un exemple, je peux reprendre l’analyse des jeux de rôles faite par le groupe pédagogique du collège de Bois- de-Boulogne, selon laquelle le jeu de rôle est avant tout une activité qui permet à l’étudiant de «développer sa créativité en adoptant un autre langage, ou d'approfondir ses connaissances historiques en parlant au nom d'un autre» (Séguin, sans date). L’originalité de cette étude repose sur la prise de conscience de l’impact des jeux de rôles associés aux TIC. On affirme par exemple que grâce à des outils tels le clavardage, les forums, les étudiants peuvent affiner leur création. La force des TIC dans ce genre d’activité réside ainsi dans l’augmentation de l’information disponible aux intéressés et surtout dans le partage d’opinions entre étudiants ayant des intérêts communs. Grâce aux TIC, les étudiants « plus gênés » peuvent s'investir plus facilement dans le projet proposé.

Une question que l’on peut légitimement poser aux concepteurs du carrefour atomique porterait par conséquent sur l’explication du choix, non pas du jeu de rôle, mais de la personnification comme élément motivateur dans la création des différents projets. À cette question, Mme Bourque répond que le choix de personnification d’éléments chimiques repose sur l’idée que l’élève sera moins tenté de copier des projets réalisés sur Internet (véritable problème de l’utilisation des TIC en milieu scolaire). De plus, l’étudiant pourra «concrétiser des concepts abstraits comme les liaisons ioniques et covalentes» (Bourque, sans date). Mme Bourque poursuit son argumentation en citant les avantages du jeu de rôle que l’on avait au préalablement identifiés. Elle finit par raconter une expérience où elle a constatée que «les apprentissages se poursuivent à l'extérieur de la recherche et que les élèves ont du plaisir à jouer avec leur personnage ou celui des autres» (Bourque, sans date) Voici un autre exemple cité par Mme Bourque (sans date) : « un élève ne veut pas se placer à côté d'un autre parce que celui-ci est un voleur d'électrons (un halogène). Celui-ci taquine son collègue en le jugeant "snob" parce qu'il est un gaz inerte sans électron de valence, donc ne réagissant pas avec les autres éléments ». On pourrait donc se demander si dans un projet futur il serait possible de retrouver des propositions de pièces de théâtre faisant intervenir les nombreux concepts vus en classe. Il serait également intéressant de proposer un forum général aux étudiants afin qu’ils puissent discuter des difficultés rencontrées lors de la réalisation de projets. Les étudiants pourraient aussi incarner un scientifique reconnu. Le professeur ne serait donc plus la seule personne ressource, les TIC prenant encore plus de valeur.

Et le rôle des étudiants?

Une question qu’on devra se poser avant d'implanter un tel projet en classe, est de voir comment les étudiants le perçoivent (ou l’ont perçu). On se rappelle que l'objectif du projet carrefour atomique consiste avant tout à créer un « cyber-monde » et ce, en aidant les élèves à développer une pensée scientifique et rigoureuse. En effet, la science est une « activité qui en engage » (Aubé & Robert, 2003). Le carrefour atomique permettra donc aux élèves de s'engager dans un projet scientifique à l'aide des nouvelles technologies. Ils apprendront à utiliser les moteurs de recherche, se familiariseront avec les TIC et travailleront en équipe. Pour synthétiser les réflexions de ces derniers dans le cadre des différents travaux de l'année 2003-2004, je peux conclure que, de manière globale, les élèves ont apprécié de travailler avec Internet. Les points négatifs majeurs relevaient des désavantages généraux des TIC (Aubé, 1996), c'est-à-dire la quantité d'information disponible ou encore l'indisponibilité pour certains d'ordinateurs personnels ou la non familiarité avec le multimédia. Voici, une réflexion qui résume bien le projet: « personnellement, je ne suis pas très forte en informatique [...]. Néanmoins, j'ai démystifié bien des fonctions [...], grâce à ma propre recherche, les substances (chimiques) font désormais partie de ma vie quotidienne » (Projet Rescol à la source, 2005).

Et finalement…

Ne créant pas une véritable révolution culturelle, le carrefour atomique se veut avant tout un lieu d'apprentissage où les étudiants sont les principaux protagonistes en contact direct et permanent avec le Savoir. Utilisant les forces d'Internet pour motiver les élèves à livrer un travail «parfait» tout en les rapprochant de la pensée scientifique, Mme Bourque a permis de réveiller plusieurs chimistes encore endormis.

Dans une perspective d'enseignement de la chimie au collégial, l'utilisation des jeux de rôles peut s'avérer complexe en raison du caractère délicat que cela peut avoir. Cependant il ne faut pas négliger la force de la création d'une communauté virtuelle. En effet, dans l'ouvrage Pédagogie.net (Taurisson, 2003) les auteurs montrent qu'il ne suffit pas d'un forum, de quelques liens et d'un magazine électronique pour créer une communauté telle que le carrefour atomique. Cette dernière permettra toutefois à l'apprenant d'«expliciter sa pensée, de la rendre réflexive, et d’en élever le niveau d’abstraction » (Taurisson, 2003) tout en se rappelant que la technologie est au service de la pédagogie et non l'inverse. Des classes au collégial pourraient donc réaliser un projet où un certain groupe d'étudiants joueraient le rôle de pharmaciens vendant une molécule (étudiée ou en vu de l'être) à des biologistes qui accepteraient ou rejetteraient leur proposition. Ce genre de projet pourrait être bâti grâce aux TIC (forums, recherches par Internet...) et pourrait toucher par exemple l'interdisciplinarité. Le carrefour atomique présente donc une méthodologie détaillée que des (futurs) enseignants pourraient mettre en place dans leur classe, pour permettre l'étude de certains concepts abstraits.

Médiagraphie

Le Carrefour atomique. Site du carrefour atomique,[En ligne].
http://mendeleiev.cyberscol.qc.ca/carrefour/ (Page consultée le 17 mars 2005).

Le projet Cyberscol. Site de Cyberscol, [En ligne].
http://cyberscol.qc.ca/index.php (Page consultée le 17 mars 2005).

L’AQUOPS. Site de l’AQUOPS, [En ligne].
http://www.aquops.qc.ca/accueil.html (Page consultée le 17 mars 2005).

Projet Rescol à la source. Site du carrefour atomique, [En ligne].
http://mendeleiev.cyberscol.qc.ca/carrefour/rescol2003/composante3/commentaires.html (Page consultée le 17 mars 2005).

Gouvernement du Québec (1995) . Lettres patentes, lois sur les compagnies, [En ligne].
http://www.aquops.qc.ca/association/lettres/lettres_cyberscol.pdf (Page consultée le 17 mars 2005).

Tardif, Jacques (1996). « Une condition incontournable aux promesses des NTIC en apprentissage : une pédagogie rigoureuse ». In Office Central de la Coopération à l'École. Site de l'OCCE de la Drôme, [En ligne].
http://www.ac-grenoble.fr/occe26/printemps/tardif/pedagogie.htm (Page consultée le 17 mars 2005).

Aubé, Michel et Robert, David (2003). «Le monde de Darwin: Une exploitation concrète des TIC selon une approche socio-construviste ». Site de la faculté de l'éducation de l'université de Sherbrooke, [En ligne].
http://fc.educ.usherb.ca/~michel.aube/Darwin-General.html (Page consultée le 17 mars 2005).

Bourque, Ghislaine (sans date). « Lettre à M Séguin». Site du département pédagogique du collège Bois-de-Boulogne, [Enligne]
http://www.colvir.net/pédagogie/parea/carrefour.html (Page consultée le 17 mars 2005).

Séguin, Pierre (sans date). « Jeu de rôle par l'étudiant ». Site du département pédagogique du collège Bois-de-Boulogne, [En ligne]
http://www.colvir.net/pédagogie/parea/jeuetu.html (Page consultée le 17 mars 2005).

Aubé, Michel (1996). « Sur l'autoroute électronique, les voyages formeront-ils la jeunesse? ». Site de Michel Aubé, [En ligne].
http://fc.aquops.qc.ca/~michel.aube/0000F940-80000002/S00219694.-1/ViePedagogique-1996.html?WasRead=1 (Page consultée le 17 mars 2005).

Taurisson, Alain (2003). « Pédagogies.net ». Site des presses de l'université du Québec, [En line].
http://www.puq.uquebec.ca/images/D-1227_INTRO.pdf. (Page consultée le 17 mars 2005).

Chamberland, Gilles et Provost, Guy (1996). Jeu, simulation et jeux de rôle. Ed.Presses de l'université du Québec. Pages 71 à 92.

Mucchielli, Alex (1983). Les jeux de rôles. Ed. Que sais-je? Chapitre 4, page 102.

Anceli-Schutzenberger, Anne (1990). Le jeu de rôle. Ed. Les éditions ESF. Quatrième exposé, page 59.